Historiquement, lâavantage des centres commerciaux sur les pieds dâimmeubles et le centre-ville tenait dans lâabsence de droit dâentrĂ©e-droit au bail. CâĂ©tait le succĂšs de premiers sites. Ils ont fait la fortune des propriĂ©taires â et des enseignes ! Depuis, lâeau a coulĂ© sous les ponts⊠Entre les droits aux baux et les dĂ©spĂ©cialisations, le dogme en avait dĂ©jĂ pris un coup. La sĂ©curisation des actifs a conduit les fonciĂšres actuelles Ă pousser le bouchon plus loin. Les garanties demandĂ©es aux enseignes â et acceptĂ©es â vont dĂ©sormais au-delĂ â trĂšs au-delĂ âŠ
Souvenez-vous, lorsque vous Ă©tiez en classe primaire, il vous a Ă©tĂ© enseignĂ© que certains calculs pouvaient ĂȘtre poursuivis jusquâĂ âŠ.
Difficile pour certains dâaccepter cette impossibilitĂ© de tout saisir, de tout contrĂŽler. Lâangoisse peut, Ă©ventuellement, vous saisir. Les juristes que nous sommes, seulement forts en thĂšme et non en arithmĂ©tique, ont toujours bien vĂ©cu cette situation, notamment avec le commerce.
Cependant, il faut constater que nos fonciĂšres, nos banquiers, souvent formĂ©s dans les grandes Ă©coles ou la mathĂ©matique Ă©tait la discipline premiĂšre, souhaitent en permanence combler les vides. Ils ont donc peur du risque et, pour limiter leurs angoisses, notamment du non recouvrement des loyers, ils multiplient Ă lâinfini les garanties que doivent leur accorder les locataires.
I â La numĂ©rotation dans tous ses Ă©tats
1 – Le dĂ©pĂŽt de garantie
A lâorigine, tout Ă©tait trĂšs simple pour garantir le contrat et son exĂ©cution, il suffit dâinsĂ©rer une clause de garnissement (amĂ©nagement et stock) et un dĂ©pĂŽt de garantie. Le dĂ©pĂŽt de garantie correspondait Ă deux mois de loyer.
Dans la mesure oĂč le loyer Ă©tait Ă terme Ă©chu, le calcul Ă©tait simple en matiĂšre de trĂ©sorerie
+ 2 â 1 = 1.
Finalement, les propriĂ©taires ont souhaitĂ© modifier trĂšs simplement la donne en passant dâun loyer Ă terme Ă©chu Ă un loyer Ă terme Ă Ă©choir.
Changement de calcul : + 2 + 1 = 3.
Les vertus de la trĂ©sorerie ont finalement Ă©tĂ© reconnues et pour respecter les dispositions de lâarticle 145-40 du Code de Commerce ou, plus exactement, afin de ne pas payer un intĂ©rĂȘt au profit du locataire, il a Ă©tĂ© imaginĂ© non plus un loyer mensuel, mais trimestriel. DĂšs lors, le calcul devenait : + 6 + 3 = 9.
Les plus malins se sont inscrits dans des loyers semestriels. Rares sont les sociétés de distribution françaises qui ont accepté ce type de mécanisme. Cependant, lorsque les locaux sont situés dans les meilleures artÚres (Saint-Honoré, Avenue Montaigne), le calcul deve-nait : + 12 + 6 = 18.
Depuis quelques mois, toujours dans leurs angoisses, les fonciĂšres rĂ©clament un dĂ©pĂŽt de garantie Ttc. TrĂšs compliquĂ©, puisque le dĂ©pĂŽt de garantie a pour objet de couvrir le non-paiement du loyer et il est vrai que dans une telle hypothĂšse, le loyer Ht devient Ttc et les trois mois de garantie peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme rĂ©duits Ă hauteur de la Tva, soit – 19,6 %. Cette disposition relĂšve finalement dâun arrĂȘt dâun ancien du Conseil dâEtat, Ă savoir ComitĂ© Propagande de la Banane (1979).
Cependant, le risque fiscal tant pour le bailleur que pour le locataire paraĂźt important, puisque aucune prestation nâa Ă©tĂ© effectuĂ©e et, pour autant, le preneur serait en droit de dĂ©duire de la Tva, alors que le bailleur se devrait de la reverser. Compte tenu des sommes appelĂ©es au titre du dĂ©pĂŽt de garantie et de lâĂ©ventuelle dĂ©duction affĂ©rente Ă la Tva, les locataires seront inspirĂ©s de rĂ©clamer auprĂšs de leur bailleur des lettres de confort en cas de con-trĂŽle fiscal.
2 â Les garanties contractuelles et financiĂšres
Câest certain, lorsque lâon ne fait pas confiance, on recherche de nouvelles garanties.
– Les premiĂšres Ă©taient les moins coĂ»teuses,
Ă savoir les garanties maison-mĂšre. Une simple lettre de lâĂ©tablissement ou de la holding permettait de couvrir, en accessoire, le non-paiement dâun loyer. Engagement hors bilan,
Ă moindres frais, si ce nâest le retraitement par le comptable et lâinformation par le commissaire aux comptes dâune telle garantie.
– Les secondes Ă©taient accordĂ©es par le banquier du locataire, Ă savoir une garantie bancaire. Si elles nâĂ©taient pas cumulĂ©es avec un dĂ©pĂŽt de garantie, ceci pourrait ĂȘtre acceptable dans la mesure oĂč le coĂ»t Ă©tait bien moins Ă©levĂ© que la trĂ©sorerie dĂ©posĂ©e sur les comptes du bailleur. Rapidement, il a Ă©tĂ© considĂ©rĂ© que la mise en Ćuvre de telles garanties Ă©tait terriblement compliquĂ©e et quâelle nĂ©cessitait des amĂ©nagements.
– La Garantie Ă PremiĂšre Demande (Gapd)
Dans une telle hypothĂšse, le banquier doit, quoi quâil arrive, payer sans quâaucune discussion ne puisse ĂȘtre acceptĂ©e par le bailleur. Ce cĂŽtĂ© mĂ©canique plaĂźt beaucoup aux fonciĂšres. Ce-pendant, rapidement les propriĂ©taires ne se sont pas limitĂ©s au simple loyer, mais aussi aux charges, aux intĂ©rĂȘts, ⊠Les banquiers se sont finalement opposĂ©s Ă de tels mĂ©canismes qui ne permettaient pas de connaĂźtre lâĂ©tendue et la durĂ©e exactes des engagements pris en faveur de leurs clients.
II â De lâinfini Ă zĂ©ro
1 â La quadrature du cercle
Câest une Lapalissade que de rappeler le coĂ»t financier de tels engagements que ce soit un dĂ©pĂŽt de garantie, une garantie bancaire, une Gapd, etc âŠ
Lâabandon, la restitution de tous dĂ©pĂŽts de garantie permettraient aux locataires de financer des opĂ©rations dâinvestissement ou de communication, afin de retrouver du trafic et des flux de clients lesquels, aujourdâhui, font gravement dĂ©faut. Les fonciĂšres anglaises, compte tenu dâune baisse profonde de la consommation, sâinscrivent dĂ©jĂ dans une politique de restitution des dĂ©pĂŽts de garantie. En outre, les Gapd, dont la teneur ne cesse de croĂźtre en termes dâengagement, sont donnĂ©es par des Ă©tablissements financiers qui sont souvent eux-mĂȘmes actionnaires de ces fonciĂšres. Finalement, ces garanties ne font que garantir indirectement leurs propres engagements. Seul le commerce souffre dâune telle politique financiĂšre.
2 â La courbe asymptotique
En pratique, lors de la sortie dâun local, que ce soit dans le cadre dâun congĂ© fin de bail ou mĂȘme dâune quelconque cession, force est de constater que le preneur connaĂźt de grandes difficultĂ©s pour obtenir la restitution de son dĂ©pĂŽt de garantie ou mĂȘme de tous les engagements bancaires. Traditionnellement, on lui oppose dâabord des charges qui nâauraient pas Ă©tĂ© appelĂ©es et pour lesquelles il demeurerait redevable. Puis, il est fait Ă©tat dâĂ©ventuels travaux lors de la restitution de la coque. Enfin, le service comptable de la fonciĂšre invente toutes sortes de difficultĂ©s internes ou externes, afin de conserver le plus longtemps possible le dĂ©pĂŽt de garantie et percevoir ainsi les intĂ©rĂȘts.
Par ailleurs, les preneurs peuvent ĂȘtre inquiets sur le sort de leur dĂ©pĂŽt de garantie en prĂ©sence dâun propriĂ©taire qui, lui-mĂȘme, connaĂźt de graves difficultĂ©s. A lâexception de quel-ques organismes rattachĂ©s aux fonciĂšres, tous les professionnels de lâimmobilier envisagent Ă court terme la fermeture de galeries ou leur dĂ©shĂ©rence.
Quels seront les recours possibles aux fins dâobtenir la restitution des dĂ©pĂŽts de garantie ?
Ne faudrait-il pas, aujourdâhui, puisque de nombreuses fonciĂšres vendent leurs actifs, refuser dans les clauses du bail que les garanties accordĂ©es au premier bailleur ne puissent pas ĂȘtre transmises au cessionnaire ? Ainsi,
et comme le prĂ©voient de nombreuses clauses du bail, les garanties accordĂ©es devraient ĂȘtre intuitu personae au profit du propriĂ©taire, signataire du bail.
Pour conclure, il paraĂźt, pour le moins paradoxal, que ceux-lĂ mĂȘme qui critiquent la lourdeur de lâĂ©conomie française et revendiquent la souplesse et la libertĂ© dans le fonctionnement du commerce soient les premiers Ă rĂ©clamer des garanties Ă leur profit. A priori, nous allons ranger nos dictionnaires de latin/grec pour reprendre nos tables de trigonomĂ©trie, peut-ĂȘtre quâainsi nous comprendrons mieux les attentes de nos chers bailleurs.
AUTEUR: Par Gilles Hittinger-Roux et Corinne de Prémare, associés au Cabinet H.B