Les premières générations d’immeubles conçus pour les investisseurs en « défiscalisé » vont arriver à la fin des 9 ans minimum de conservation pour bénéficier de l’amortissement fiscal. Ces immeubles habités presque exclusivement par des locataires, composés en général de studios et deux pièces, de construction souvent très moyenne et très peu « basse consommation », gérés a minima pendant des années par des syndics ayant à faire à des copropriétaires fantômes, arrivent à la fin de leur première jeunesse en piteux état et vont nécessiter des travaux de réhabilitation importants. Ceux qui ont cru y faire un placement mirifique en sont-ils conscients, et voudront-ils y faire face, alors que beaucoup n’ont même jamais vu le ou les appartements que leur ont vendu des gérants de patrimoine ou des vendeurs de placements financiers ?
2003-2012 : les premiers immeubles vendus en « Robien » vont arriver à la fin de la période minimale de maintien en location de 9 ans ; suivront dans quelques années les « Borloo » puis les « Scellier ». Si des promoteurs ont recyclé au début des productions déjà dans les « tuyaux », la plus grande partie des quelques 700.000 logements construits pour les investisseurs en « défiscalisé » ont été conçus spécifiquement pour le placement locatif, et vendus dans des circuits de commercialisation de produits financiers, aux techniques de vente éprouvées : gérants de patrimoine, et officines de distribution aux brochures et sites Internet alléchants. L’engouement pour le placement immobilier et l’attrait d’une économie d’impôt ont permis l’émergence d’un secteur économique dédié, presque totalement distinct de l’immobilier traditionnel : les « défiscalisateurs » immobiliers, avec des promoteurs, des commercialisateurs, des financeurs, et même des notaires spécialisés.
Un parc immobilier spécifique
Résultat : des immeubles chers bien que de qualité médiocre, des appartements petits – des studios et deux-pièces, censés être plus rentables mais surtout en réalité pour faire des unités de placement accessibles – loués à des locataires en début de parcours résidentiel et donc à fort « turn over », vendus à des investisseurs intéressés uniquement par l’idée que le logement acheté se rembourse tout seul, moitié par le loyer, et pour le reste par l’économie d’impôt. Le tout avec un « package » de gestion – mandat tout inclus avec garantie de vacance locative et d’impayés de loyer – qui dispensait de s’intéresser de près, ni au produit lui-même, ni à ses charges (pour la plus grande partie locatives) et à son entretien. Nombre d’investisseurs, habitant à l’autre bout de la France quand ce n’est pas à l’étranger, n’ont jamais vu ni leur logement ni l’immeuble.
Des copropriétés sans copropriétaires !
Il en est né des milliers de copropriétés fantômes, avec des assemblées tenues par le seul syndic et ses préposés, porteurs de mandats d’une majorité des copropriétaires.
Passons sur les déboires de milliers d’investisseurs qui ont dû remettre de l’argent pour rembourser leur crédit, les loyers annoncés dans les plans de financement, quand ce ne sont pas carrément les locataires, n’ayant pas été au rendez-vous, faute de marché locatif suffisant pour absorber toute la production d’immeubles réalisée anarchiquement… Une autre avanie les attend, et cette fois même ceux dont l’investissement s’est déroulé jusqu’ici sans encombre : l’état dégradé de leur immeuble passée sa première jeunesse et les travaux qu’ils devront entreprendre pour le remettre à niveau. Car déjà construits à l’économie pour assurer le meilleur rendement, ils ont été gérés à minima, et souffrent après avoir été occupés quasi-exclusivement de locataires à forte mobilité, de graves défauts d’entretien. De surcroît, seuls les plus récents respectent des normes de performance énergétiques véritablement exigeantes (la règlementation thermique « RT 2005 » n’est applicable qu’aux permis de construire dont la demande est postérieure au 1er septembre 2006, donc commercialisés après cette date, les autres relevant de la « RT 2000 ») ; les autres vont afficher des étiquettes énergie défavorables qui, jointes à un état des lieux peu flatteur, pèseront sur la valeur de revente…
A l’échéance des 9 ans : revendre ou conserver ?
Pour les investisseurs les plus anciens, ceux qui ont acheté en « Besson » de 2000 à 2003 et ceux de la grande vague des « Robien » à partir de 2003, mieux vaut donc qu’ils s’intéressent dès maintenant à l’état de leur immeuble, qu’ils fassent procéder à un audit, et qu’ils fassent établir un plan pluriannuel de travaux. C’est à cette seule condition qu’ils pourront décider en toute connaissance de cause de revendre dès la fin de la période de location minimale ou de conserver leur bien et en faire un élément pérenne de leur patrimoine. Mais il leur faudra, pour faire entendre leur voix, s’investir dans la gestion et le contrôle de leurs syndics.
Beaucoup auront intérêt à revendre rapidement, laissant le mistigri à leurs acquéreurs imprudents. D’autant que les difficultés de relocation à chaque départ de locataire sont devant eux : marchés locatifs souvent saturés, état de l’immeuble peu avenant, étiquette énergétique médiocre, concurrence des constructions nouvelles et « BBC » (bâtiments basse consommation)… Et même si leurs espoirs de plus-value sont déçus : « On a vu des reventes qui révélaient des prix initiaux qui n’étaient pas en accord avec les qualités du bien, notamment en termes de localisation », reconnait Marc Gedoux, Président de Pierre Etoile, auteur d’une Tribune libre sur notre site.
Car ceux qui ne voudront pas brader, ou qui flancheront devant la perspective d’une plus-value inférieure à leurs prévisions, doublée d’une imposition désormais au taux fort (32,5% sur 92% de la plus-value après neuf années de détention), risquent de s’enliser dans des copropriétés tombant dans la spirale infernale de la dégradation : entretien déficient, peu ou pas de travaux sur un bâti de mauvaise qualité, baisse des loyers, perte de valeur des logements et revente à bas prix à des acquéreurs impécunieux, et ainsi de suite…
Un défi urbain pour demain
Cette perspective ne manquera pas de créer pour les villes un nouveau sujet de préoccupation : après les copropriétés dégradées des centres-villes anciens et les copropriétés en difficulté des ensembles immobiliers des années 60-70 de la périphérie, il leur faudra envisager d’assister une nouvelle catégorie de copropriétés à problèmes : celles issues des dérives de la défiscalisation des années 2000.
Les choses risquent d’être d’autant plus difficiles que la plupart de ces copropriétés n’ont pas appris à fonctionner, faute de copropriétaires. Or on estime qu’il faut 10 ans pour que s’instaure dans une copropriété à forte proportion de copropriétaires résidants une culture et une maîtrise des règles complexes de fonctionnement permettant une « gouvernance » satisfaisante. Dans les copropriétés neuves, cette maturation peut s’effectuer alors que les copropriétaires ne sont pas encore sollicités pour des travaux importants. Les copropriétés d’immeubles « Robien » ou leurs successeurs auront un double handicap : elles devront mettre une « gouvernance » – instaurer un conseil syndical, inventer des méthodes de travail, apprendre à interfacer avec leur syndic de manière constructive mais aussi à le contrôler efficacement, s’initier au « b a ba » du bâtiment, etc. – alors qu’elles seront à la veille d’une nécessaire réhabilitation.
Une reconnaissance précoce des situations de fragilité et des méthodes d’intervention appropriées s’avèreront rapidement comme les seuls moyens d’éviter par la suite des plans de sauvegarde ruineux et socialement dommageables…