Associations et fonds marketing, responsabilitĂ© du bailleur dans la bonne marche des galeries marchandes, prise en compte de la frĂ©quentation pour le calcul du loyer variable, flambĂ©e du pied dâimmeuble mais baisse globale des valeurs locatives, explosion des indices de rĂ©vision des baux, complexitĂ© grandissante de la rĂ©glementation de lâurbanisme commercial : sans que cela ressemble Ă une rĂ©volution, lâimmobilier de commerce rĂ©invente actuellement ses rĂšgles au jour le jour. Chaque instant qui passe lâĂ©loigne des principes qui le rĂ©gissaient depuis une quarantaine dâannĂ©es. AssurĂ©ment, demain sera plus dur, laissant moins de place Ă la fantaisie.
Pour un peu on croirait que rien ne change⊠Et pourtant, la modification des structures dans lesquelles opĂšrent les intervenants de lâimmobilier de commerce nâa, en progressant jour aprĂšs jour, peut-ĂȘtre jamais autant Ă©voluĂ© depuis des lustres. Des forces immenses pĂšsent sur un marchĂ© pris entre lâarbre de la baisse des ventes et lâĂ©corce de la dĂ©matĂ©rialisation reprĂ©sentĂ©e par Internet et ses avatars, terminaux mobiles et tablettes en tout genre.
On sait, parce que ce canal reprĂ©sente dĂ©jĂ 7 % du chiffre dâaffaires, tous secteurs confondus (et malgrĂ© une bonne moitiĂ© de billetterie-voyage), la surcapacitĂ© du nombre de mĂštres carrĂ©s de vente. InĂ©vitablement, il sâen suivra de la casse : les mauvais emplacements et les mĂ©diocres malls produiront des friches, squelettes dessĂ©chĂ©s des Trente Glorieuses. Cette perspective nâest plus tabou⊠Il faudra se faire Ă un arbitrage de cette nature. Un jour ou lâautre â pas si lointain â les piĂštres sites et les tristes commerçants devront passer la main !
Les crises sont des aspirateurs Ă poussiĂšres⊠Et des podiums sur lesquels montent ceux qui ne se laissent pas abattre. Tout un chacun sait que le monde nâaura pas la mĂȘme allure dans quelques annĂ©es et que la reprise sâappuiera sur des principes radicalement diffĂ©rents que ceux en vigueur hier. La nature des enseignes est de se dĂ©velopper : il faut donc que cette expansion passe par un endroit ou un autre. Lâinternational, comme le font La Grande RĂ©crĂ© au Royaume-Uni, Picard en Belgique et mĂȘme la coopĂ©rative Beauty Success un peu partout ou le petit Finsbury qui pense Ă la Chine, est une voie dâavenir.
De meilleures conditions dâexploitation en sont une autre. Le rapport de force entre les propriĂ©taires et les locataires a changĂ©. DĂ©sormais, les uns parlent mieux aux autres quâils ne le faisaient â conversations avec les princes exclues, naturellement⊠LâintĂ©rĂȘt de ce nouveau face Ă face nâa rien Ă voir avec une question dâĂ©go : il tient dans le rĂ©tablissement de lâĂ©quilibre naturel portant en lui des garanties dâavenir. On avance mieux en se tenant la main quâen se mettant des bĂątons dans les roues ! Quelques illustrations mĂ©ritent que lâon sâattarde sur elles.
La premiĂšre est Ă©videmment le retour des conditions locatives Ă des niveaux plus raisonnables. Suivent : la suppression du droit dâentrĂ©e sur la plupart des projets, lâĂ©tablissement de loyers progressifs sur cinq ou six ans, le financement des travaux, parfois, et un rĂ©el tassement des grilles de loyers â sites majeurs exceptĂ©s. Sâajoute â voilĂ qui est nouveau â la baisse de la valeur locative qui sâest littĂ©ralement effondrĂ©e au cours des six derniers mois. Câest pas dommage ! Entre le premier et le second semestre de lâannĂ©e, celle-ci a chutĂ© de pratiquement 7 % Ă Â 698 ⏠le mĂštre carrĂ© annuel !
Un vĂ©ritable crack qui atteint essentiellement le droit au bail dont la baisse sâinscrit Ă plus de 19 % (tension sur les trĂ©soreries oblige) ; le loyer profitant de cette cassure en sâapprĂ©ciant dâun peu plus de 2 %. De la sorte, le premier ressort Ă 2 528 âŹ, le second Ă 445 âŹ. La courbe qui avait enregistrĂ© une progression quasi continue depuis dix ans, avait dĂ©jĂ piquĂ© du nez fin 2011. CâĂ©tait, semble-t-il, un avertissement sans frais⊠VoilĂ une rechute marquant sans doute une tendance dont le sens nâĂ©chappera Ă personne.
Disons, pour clarifier les choses, que lâhistoire sâĂ©crit sous nos yeux : les clients achĂštent moins et moins cher, les enseignes louent moins et moins cher, les bailleurs louent plus difficilement et Ă plus bas prix. Leur position, qui, hier encore, logeait dans le non-dit, est dĂ©sormais quasi officielle. Il faut remplir les sites coĂ»te que coĂ»te â y compris en acceptant du variable pur. Certains prennent ça pour une revanche du destin. Les fonciĂšres auraient tirĂ© sur la corde et elles nâauraient que ce quâelles mĂ©ritent⊠Inutile-ment mĂ©chant : il nây a pas dâaffect dans les affaires et surtout pas dans celles des financiers. Quâils ne sâinquiĂštent pas : la loi du marchĂ© fera son office. Câest pourquoi, pour se garantir, certains preneurs (au premier rang desquels H&M, et pas seulement en France) demandent dâasseoir leur bail sur la commercialitĂ© du lieu. Je paye si le mall est occupĂ© Ă Â 100 % et je tolĂšre un taux de vacance maximum de 85 %. Au-dessous, soit mon loyer est rĂ©visĂ© Ă la baisse, soit je quitte carrĂ©ment les lieux !
Câest un peu fort, vous avouerez ! Mais aucune des parties ne se laissant abattre, les autres rĂ©torquent en travaillant sur des mĂ©thodes originales dont on ne connaĂźt pas encore bien la couleur. Selon lâune dâentre-elles, les quittances sâappuieraient toujours sur un loyer minimum garanti, mais la clause recette serait assise non pas sur lâĂ©ventuel surplus du chiffre dâaffaires (il faut arrĂȘter de rĂȘverâŠ) mais sur la frĂ©quentation du centre commercial ! En dâautres termes : je fais venir les clients ; charge Ă toi de transformer le flux en ventes sonnantes et trĂ©buchantes ! Comme au bon vieux temps ! On voit vite que seuls les sites les sĂ»rs dâeux mĂȘmes et dominateurs sont capables de placer une telle formule â au demeurant super-parade Ă lâĂ©vaporation du chiffre dâaffaires par Internet. Si un gros bailleur installe un tel mĂ©canisme (pas facile Ă calibrer), les autres nâauront dâautre choix que de suivre ou, si leur mall nâen a pas les moyens, de revenir au classique loyer fixe des propriĂ©taires dâavant Parly2 ou Cap 3000. Sinon, quoi ? Quelle autre maniĂšre de capter le volume des ventes passant par le Web des commerçants pour lequel la galerie marchande nâest quâun point relais ?
Ne nous y trompons pas : ces changements sont essentiels. Bien plus que de deviner le pourcentage du chiffre dâaffaires qui transitera un jour prochain par le Net au lieu de passer par les magasins qui, dĂ©finitivement, sont trĂšs loin de disparaĂźtre (Ă condition, tout de mĂȘme, de savoir se rĂ©former en termes dâaccueil, de qualitĂ©, de service⊠et de communication). LĂ encore, le changement, comme dirait lâautre, est Ă la manĆuvre. Mais comme lâĂ©volution de lâespĂšce dessine curieusement les choses, lâissue ne ressemble guĂšre Ă celle imaginĂ©e au dĂ©part. Pour prendre un autre exemple, on avait cru, en effet, que le droit de se retirer dâune association permettait au dĂ©taillant dâĂ©conomiser sur ses charges, Ă tout le moins de les nĂ©gocier durement.
Le principe reste vrai, comme le montre le va et vient des jurisprudences, le principe de restitution Ă©tant appliquĂ© Ă Mondeville et Ă 95 % Ă Val dâEurope ; mais faux Ă Amiens Sud oĂč la Cassation a renvoyĂ© les parties devant la cour dâappel qui avait validĂ© le non-paiement des cotisations. Câest Ă nây rien comprendre, sauf pour quelques juristes avertis â et encore. Tous les autres, bailleurs et enseignes, auront parfaitement compris, au contraire. Câest la raison pour laquelle, hardi petit, les propriĂ©taires mettent en place des fonds marketing â non plus cotisation mais prĂ©lĂšvement direct sâajoutant au taux dâeffort. Au train oĂč vont les choses, ce sont eux qui demain feront la loi. A 100 %. Dommage pour le lien social entre commerce et promotion, certes. Mais tant mieux pour la maĂźtrise de la communication ; et tant mieux encore pour la productivitĂ© des enseignes qui se contenteront de payer au lieu de passer des heures dans les assemblĂ©es stĂ©riles de commerçants. La guerre qui au dĂ©but avait fait rage, a donc cessĂ© ; quelques grands comme Vivarte et Etam, certains quâils y avait que des coups Ă prendre, ayant jetĂ© lâĂ©ponge. Le rĂ©sultat des passes dâarmes qui font encore grand bruit dans les prĂ©toires reste passionnant : il ne changera pas la partition qui sâĂ©crit Ă mesure que sont renouvelĂ©s les baux et que sont inaugurĂ©es les extensions de galeries marchandesâŠ
Câest peut-ĂȘtre triste, mais lâavenir ne sera plus au partage des risques et de la fortune : il appartient dĂ©jĂ au principe de chacun son mĂ©tier (et les vaches seront bien gardĂ©es, ajoutent les paysans pleins de bon sens !). Agir sur tous les leviers, chercher de nouvelles idĂ©es, câest aussi ce qui a poussĂ© lâune des fonciĂšres les plus puissantes, Carrefour Property, Ă se permettre (autre fois crime de lĂšse majestĂ©) de proposer Ă un carrĂ© dâindĂ©pendants dâacheter certains de ses murs. CâĂ©tait une condition pour avoir les meilleurs artisans du coin. Ils sont venus et, contre une clause de rachat prioritaire (on nâest jamais trop prudent), vont donc animer le projet de Mondevillage en cours de construction.
La boĂźte Ă idĂ©es est ouverte. Les enseignes aussi ont les leurs â et non des moindres ! VoilĂ par exemple que, nonobstant les signatures fermes quâelles apposent au bas des contrats de location, elles sâen prennent Ă la commercialitĂ© des sites. En gros : vous mâaviez promis le pactole et nous ne voyons passer personne. Vero Moda et Jack&Jones, Ă Parinor, ont rĂ©ussi le tour de force de faire dire Ă la Cour de cassation quâil sâagissait dâune contestation sĂ©rieuse. Il faudra voir sur le fond, mais lâexpression est lĂąchĂ©e tandis que presque en mĂȘme temps et sur un refrain analogue, la Fnac du MillĂ©naire a, elle aussi, baissĂ© son rideau. Ici et lĂ , la responsabilitĂ© du bailleur est recherchĂ©e, la voie de fait accomplie, puisque lâexploitation est purement et simplement stoppĂ©e. Si lâaffaire est pendante dâun cĂŽtĂ©, elle a Ă©tĂ© sanctionnĂ©e de lâautre. Durement, puisque lâAgitateur public a Ă©tĂ© contraint de rouvrir ses portes sous astreinte de⊠20 000 ⏠par jour ! A ce prix lĂ , qui discuterait ? Reste que le dĂ©bat est lancĂ©. Il y a la maniĂšre, certes ; il y a surtout, de nos jours, lâobligation de faire feu de tout bois pour sauver ce qui peut lâĂȘtre. Peu de monde en parle, mais tout le monde y pense⊠Pomme de Pain a bien, lui aussi â mais dans les formes â fermĂ© son point de vente de CrĂ©teil pour cause de taux dâeffort «dĂ©mesuré».
Faut-il chercher dans cet agacement dont souffrent de nos jours avec les grandes surfaces alimentaires quâils abritent les centres commerciaux, la cause de la flambĂ©e des pieds dâimmeubles ? Rien nâinterdit de le penser ! Sans parler des transactions Infinitif-Mac et Quick-Tiffany qui mettent dĂ©sormais les Champs-ElysĂ©es Ă 17 000-18 000 ⏠le mĂštre carrĂ©, les grands conseils (Jones Lang LaSalle et Cushman&Wakefield) ont constatĂ© que la baisse des taux de ces actifs atteignait des records : 20 % sur le premier trimestre 2012. On est comme un rien dans une fourchette comprise entre 4,25 et 4,50 pour nâimporte un endroit un peu bien placĂ©. Logique, si la nature profonde des enseignes est de se dĂ©velopper, il faut quâelle les fasse dâune maniĂšre ou dâune autre : si elles ne sâinstallent pas ici, elles doivent donc sâinstaller lĂ âŠ
LĂ oĂč les droits aux baux se sont tassĂ©s, certes, mais oĂč les questions gĂ©nĂ©rales du mĂ©tier demeurent. En particulier celle de lâhystĂ©rie des indices de rĂ©vision qui, Ă chaque livraison trimestrielle de lâInsee, tournent un peu plus Ă lâenrichissement sans cause. Avec un + 3,07 % pour les loyers de commerce et + 4,58 % pour le coĂ»t de la construction, lâĂ©volution sur une base 2008 sâĂ©crit respectivement Ă + 7,65 % et + 11,30 %. Alors que les ventes nâont fait que de chuter. Le moins que lâon puisse dire est que la solidaritĂ©, principe le plus galvaudĂ© aujourdâhui, nây trouve pas son compteâŠ
VoilĂ , me semble-t-il, de quoi rĂ©flĂ©chir pour les mois qui viennent, non pas Ă un monde meilleur, mais un univers un peu plus Ă©quitable entre des parties condamnĂ©es Ă sâentendre et que les pouvoirs publics nâont jamais pris en compte Ă leur juste valeur. Et qui, quand ils le font, lui mettent plutĂŽt des bĂątons dans les roues, promettant une loi quâils ne tiennent pas, disant ensuite (Cf. Sylvia Pinel Ă lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale du Cdcf de septembre) ne pas en vouloir et (derniĂšres nouvelles de radio moquette) la remettant au bout du compte en chantier par le biais dĂ©tournĂ© de lâamĂ©nagement du territoire.
On peut parier sans trop de risques, que lâobjectif sera une fois de plus dĂ©tournĂ© de son objet social. Le bien public, on sâen balance ; ne compte que le bien politique. Mais bon sang, comment faire pour que les communes cessent un jour de financer leurs budgets par les mĂštres carrĂ©s de commerce ! Y a-t-il seulement un dĂ©but de rĂ©ponse Ă cette question, un homme ou une femme dans ce pays capable de ne pas raisonner sur autre chose quâune rĂ©pĂ©tition de cette erreur jusquâĂ perpette ? A voir dans les Ă©quipements de ce type autre chose quâune vache Ă lait, autrement dit : une simple sĂ©curitĂ© pour les investisseurs, une opportunitĂ© de dĂ©veloppement pour les distributeurs et un confort pour les consommateurs ?
Heureusement, il y a le dynamisme naturel dâune profession vieille comme le monde. Le commerce, chaque fois quâon lâimagine au fond du trou, se dĂ©brouille pour continuer Ă parler dâavenir. Câest un vrai bonheur. Il lâa fait merveilleusement au dernier Mapic, avec une densitĂ©, un acharnement et une bonne humeur forçant lâadmiration des coincĂ©s de la crise. Que les dĂ©veloppeurs soient davantage venus avec un programme de renĂ©gociations de baux existants que de signatures de projets est une Ă©vidence. Il nâen demeure pas moins que tout le monde Ă©tait lĂ et quâĂ partir de lĂ tout est permis : 8 600 participants, dont 2 400 enseignes, soit respectivement 6 % et 20 % de plus pour la prĂ©cĂ©dente Ă©dition. Si ça, ce nâest pas montrer de la foi en lâavenir, on ne voit pas ce que ça pourrait ĂȘtre !
Alain Boutigny, décembre 2012